Jacques Molénat : Le pouvoir des francs-maçons est fantasmé !
Depuis plus de dix ans, Jacques Molénat enquête sur les réseaux, les systèmes de pouvoir et la franc-maçonnerie pour le magazine L’Express. Le journaliste montpelliérain, fin connaisseur des arcanes politiques, estime l’influence des frères surévaluée par l’opinion publique.
Pourquoi enquêtez-vous depuis dix ans sur la franc-maçonnerie et les réseaux ?
À l’origine, c’est le hasard d’une rencontre. Au détour d’une conversation, le collaborateur d’un homme politique de la région m’a parlé du Club 50. J’ignorais totalement l’existence de ce groupe de VIP, tous francs-maçons, qui se réunit une fois par mois au Jardin des Sens. Vu que c’était ultrasecret, cela m’a intéressé, puis j’ai élargi mon enquête à l’ensemble de la franc-maçonnerie montpelliéraine. L’Événement du jeudi (hebdomadaire aujourd’hui disparu) a alors titré « Montpellier sous la coupe de la franc-maçonnerie ? ». Ça a fait sensation ! J’y dévoilais l’identité de frères du Club 50 comme Marc Dufour, alors patron d’Air Littoral, Gérard Borras, l’ex-président de la chambre de commerce, le chirurgien nîmois Camille Lapierre ou encore les deux directeurs de cabinet de l’époque de Jacques Blanc et de son rival Georges Frêche, Jean-Baptiste Ferracci et François Delacroix.
Après dix ans d’observation, pensez-vous que la franc-maçonnerie soit réellement influente ?
C’est ce que j’ai cru au début… Montpellier compte plus de 2 000 frères. Un chiffre bien au-dessus de la moyenne nationale. Mais, à Perpignan, ils sont encore plus nombreux. Et puis, on s’aperçoit qu’il y a des singularités ville par ville. À Montpellier, les frères sont très présents dans les milieux patronaux ; à Perpignan, davantage dans le landerneau politique.
Et au final, vous dites que le pouvoir des frères relève du fantasme ?
Il est, en tout cas, souvent surévalué. On est très loin de la toute puissante franc-maçonnerie d’avant guerre. Sur le terrain politique, les frères sont aujourd’hui 10 fois plus nombreux, mais 10 fois moins influents que sous la IIIe République où des projets majeurs émergeaient des loges. La dernière flambée, c’est, sous de Gaulle, la loi sur la contraception portée par le Dr Pierre Simon, grand maître de la Grande Loge de France.
Peut-on tout de même parler de la franc-maçonnerie comme réseau d’influence ?
Tout à fait. Secret, codes, solidarité renforcent la complicité entre membres de la même loge ou de la même obédience. Des employeurs franc-maçons ne s’en cachent pas : entre deux personnes compétentes, c’est le franc-maçon qu’ils retiendront. J’ai l’exemple d’un directeur de cabinet qui s’est démené pour que ses amis francs-maçons décrochent les budgets de communication de sa collectivité.
Il y des cas supposés de dérive, comme celui d’Alain Manville (*) au CHU de Montpellier…
Lui-même l’a dit ouvertement en arrivant à Montpellier : « Je suis flic et franc-maçon ». On peut dire qu’il avait installé un gouvernement maçonnique à l’hôpital, qui est le plus gros employeur de l’Hérault. Il a fait venir de Paris des hommes de confiance de la Grande Loge de France, son obédience. Il avait aussi établi un lien de proximité et de coopération avec un autre frère, Jacques Touchon, alors doyen de la faculté.
Que dire aussi du tribunal de commerce de Montpellier ?
C’est vrai que Michel Fromont (président du tribunal de commerce de Montpellier jusqu’à sa démission en janvier 2000 et ancien président de la CRCI) est franc-maçon et que sa gestion de l’affaire Montlaur (chaîne de supermarchés en faillite en 1991) a été contestée, en raison, en particulier, des honoraires faramineux touchés par les administrateurs judiciaires qu’il avait contresignés. Mais j’y vois plus un dysfonctionnement institutionnel qu’un affairisme maçonnique. Après, c’est un fait établi que beaucoup de tribunaux de commerce sont aux mains de francs-maçons. C’est le cas à Béziers où le président est membre de la Grande Loge nationale de France.
De plus en plus de gens veulent devenir francs-maçons, est-ce un « rite mondain » ?
Pour partie, oui. Mais ne caricaturons pas. Accordons aux francs-maçons un peu de sincérité dans leur démarche… Ils se réunissent et réfléchissent pour s’améliorer et améliorer la société. C’est censé être un lieu de formation intellectuelle. Comme partout il y a des brebis galeuses. L’Église ne se résume pas aux prêtres pédophiles…
Comme expliquer un tel regain de la franc-maconnerie ?
Il y a peut-être une spécificité méditerranéenne. Dans des villes où l’économie n’est pas florissante et où les emplois sont rares, il peut s’avérer bénéfique de se brancher sur un réseau influent, de connaître des gens importants, de se faire un tissu relationnel et la franc-maçonnerie, de ce côté-là, a une aura exceptionnelle, même si elle est en partie fantasmée. D’autres pensent aussi que, grâce à ce réseau, ils pourront accéder plus facilement à des marchés.
Que dire du Club 50 et du plus récent Cercle Mozart ?
On est typiquement dans ce que les francs-maçons, canal historique, détestent. Ces clubs, censés réunir les hommes les plus influents d’une ville, sont perçus par les hiérarques comme des déviations étrangères à la démarche maçonnique.
Recueillis par Gwenaëlle Guerlavais
Crédit photo : Edouard Hannoteaux